La naissance du philosophe

En  considérant sous le ciel, le monde et la vie, ou plutôt, la disposition des choses humaines comme un certain ensemble confus, inégal, et si irrégulier ; mon l’esprit se trouvant embarrassé par ce spectacle, ne sait ni où s’arrêter dans son  trouble,  ni que tenter dans cet amas d’incongruités, et ne parvient guère à déchiffrer ce tableau indéchiffrable que par la dernière énergie !

Mon ami, comment ne pas devenir philosophe, lorsqu’en méditant  sur le monde, et sur le triste sort des mortels, flottant comme sur une mer des troubles et des angoisses ; et cependant sans gouvernail, sans boussole, et comme livrés au désespoir, sans autre guide que l’intrépide hasard ?  Je ne vous cacherais  pas ensuite que le monde me paraît sans sens, ou voulais-je dire, absurde, venant comme d’un inconnu incertain, et avançant certainement vers l’inconnu.

S’il n’y a point de moyen sûr, par lequel nous devrions juger des choses humaines, des événements qui surgissent dans le monde en général, et dans notre vie en particulier ; s’il n’y a point de secret, dis-je, par lequel l’homme doit être convié à observer le sort des humains, et le sien propre : il est certain que nous  conclurons à l’absurdité de la vie. Et nous voilà déjà philosophes sans l’avoir voulu.