La métaphysique de l'amour, seconde promenade

L'unicité de la beauté

Je l'observais dans ses yeux; et si les rayons du soleil n'avaient interrompu mon regard, j'aurais perdu ainsi mon âme dans cette contemplation. Je sais que chacun d’entre nous a eu l’occasion de vivre ce que j’appellerai volontiers des « instants d’éternité », seuls bons moments capables de combler une vie éphémère comme la nôtre, des moments de pur bonheur, des moments qui commençent et qui nous plongent dans l'angoisse quand ils finissent. Des moments.

Ils ne peuvent plus s'éffacer, dès lors qu'ils sont gravés dans le marbre de nos têtes.

Ils sont comme des instantanés, des images du passé qui suscitent toujours en nous des sentiments poignants, accompagnés d’une infinie nostalgie.



Mais je m'étonnais; je m'étonnais que la simple beauté de ses yeux m'emportasse si tant! Ou qu'elle torture ainsi mon âme! Je me serai evanuis peut-être...C'est l'effet de la beauté!

La beauté nous paraît presque toujours tragique, hantés que nous sommes par la conscience que toute beauté est éphémère. C’est qu’en effet, une vraie beauté ne saurait être un état figé perpétuellement dans sa fixité. Son devenir, son apparaître en ce monde-ci, constitue toujours pour nous, un « instantané », c’est-à-dire, un instant unique que nous devons profiter une fois pour toutes!



Chacun de nous étant unique, cela fait aussi que chacun de ces instants où nous passons à nous contempler, soit aussi unique. Notre désir réside comme dans un élan instantané vers la beauté: quand j'observe son visage, il me semble que je meurs...Est-il donc vrai que mon visage à moi, ne fut volontiers créé par le Seigneur, que pour elle seule; ou que le sien, si gracieux qu'il est, rien que pour moi seul?



Son visage est sans cesse renouvelé et chaque fois unique. Voilà même la compréhension de l'unicité de la beauté.

D’ailleurs, la beauté ne débute qu’à partir d’une prise de conscience de son unicité. Quand je vois que toutes les femmes ont un même regard, les mêmes yeux, la même bouche, le même corps, je suis entrain de perdre la véritable notion de la beauté: son unicité.



"Je", est toujours unique. Mon "Je" à moi, ne peut être le même que le "Je" de l'autre. Le "Je" de mon amour ne peut être confondu à un autre "Je". Car la beauté commence quand nous prenons conscience que l’être humain ne fait pas juste partie d’une espèce, que l’homme ou la femme que voici n’est pas juste un gendre, un individu parmi les individus, une simple figure foulée dans d’autres figures; mais bien plutôt une personne pleine et entière, unique, irréductible, irremplaçable. Ô mon amour! Quand je te perds, personne donc ne peut te remplacer! Il n'y a pas au monde d'autre beauté que la tienne. Elle y serait peut-être, mais juste une autre...



De chaque visage humain rayonne une transcendance unique, un rayon spécial, une lumière particulière qui ne saurait ni être totalement exploitée ni même complètement possédée. On pourrait la contempler toute une vie, mais elle ne finirait.

Elle est transcendance d'une réalité unique s’interrogeant en lui et se réfléchissant en lui. Et c’est, je crois,

de cette réalité que naît la possibilité de dire « je » t'aime; ou « tu » es magnifique; c'est de là que naît le face à face entre deux visages, le langage des sens, l'apprentissage de l'amour, le balbutiement des âmes; et surtout la possibilité d’aimer, le possible de l’amour.


C’est grâce à cette réalité précaire que chacun d’entre nous se sent vivant, désiré, que chaque être est virtuellement capable d’incarner la beauté, et surtout d’être sollicité par le « désir de beauté ».



C'était lors de notre seconde promenade.



(Maximus, l'unicité de la beauté, in "La métaphysique de l'amour")